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A MAISON ÉTAIT LA DERNIÈRE
du lotissement de luxe, juste avant la falaise. Du lotissement, on ne voyait que la barrière et le portail. Elle
était construite au fond du terrain en pente douce et, du jardin, on ne voyait
pas les autres maisons, mais le ciel et la végétation, astucieux.
Évidemment jardin de rêve, pelouse sans la moindre
mauvaise herbe, à la limite du synthétique, mais non c’est de la vraie nature,
de la vraie œuvre de Venus. Des fleurs blanches réparties comme il faut,
presque écœurant de perfection pensa l’inspecteur Alejandro.
La maison était plus modeste que les autres villas
haut de gamme du lotissement. En pierre, comme une maison bretonne, sans étage,
un toit en végétation comme parfois en Norvège. Étrange sous la contrée
d’Alejandro, mais chic. En façade une seule grande fenêtre, et une ouverture à
droite de la porte d’entrée ni baie ni fenêtre, aussi haute que la porte,
moitié moins large se terminant en haut par un ovale pas très régulier. À
travers la vitre de cette ouverture un Tervuren assis regardant vers
l’intérieur, immobile. C’était le crépuscule, la maison, éclairée, dégageait
une impression de douceur, de quiétude fort agréable.
Pas plus de sonnette qu’au portail d’entrée,
Alejandro frappe, pas de réponse, pas d’aboiement du Tervuren. Vérifiant qu’il
a bien son taser de poche prêt à paralyser tout canidé agressif, Alejandro
entre, la porte s’ouvre sans problème, il se tourne vers la droite, taser en
main, mais il ne risque rien, le berger belge est empaillé. Ceci dit, le taxidermiste
a fait un travail hors pair notamment sur l’expression de la bête qui semble
heureuse d’accueillir les visiteurs.
Bien qu’ayant horreur des poncifs, il ne peut
qu’émettre un sonore « y a quelqu’un ? » suivi de
« Police », mais non, personne…
La pièce est spacieuse, l’impression de douceur se
renforce, une partie cuisine avec le piano à cuisson hors de prix, les
ustensiles bien visibles, scintillants.
Il sait où il a vu cet intérieur. Sur le tableau
d’un peintre nordique de la fin du XIXe siècle que venait d’acquérir
son ami, le célèbre peintre Orlando Feo à qui il avait sauvé la vie sous la
dictature, le soustrayant des mains de gens comme le commissaire Alvaro ravi de
torturer et d’éliminer tous les « déviants ». Curieusement c’était
parce qu’il recherchait cette ordure de commissaire Alvaro qu’il était dans
cette maison. Alvaro s’y était rendu hier soir pour la disparition de la
fillette de huit ans du couple qui habitait là. Elle n’avait disparu que depuis
un couple d’heures, mais comme ses parents étaient de la haute société,
d’emblée, ils avaient eu droit à la visite du commissaire. Mais pas de nouvelle
du commissaire depuis 24 heures.
Alejandro alla visiter les autres pièces se
résumant à deux salles de bains (immenses, Jacuzzi, douche à l’italienne ET
grande baignoire).
La chambre de la petite était la plus
intéressante, le lit était un carrosse de princesse grandeur nature, il n’avait
jamais vu ça. Bizarrement la chambre était bien rangée., la chambre des
parents, que du luxe, impersonnelle, n’importe qui pourrait y dormir (à
condition d’avoir du fric).
Il retourna dans la pièce principale, là on était
bien, rassuré, au calme, des bibelots charmants en petite quantité, une bonne
odeur de cuisine. Tiens, un croque-monsieur sur la table en bois, il est encore
chaud. Il ne devrait pas, mais il s’assied et entame le croque-monsieur, il est
comme chez lui, avec le décor qu’il aurait été incapable de mettre en place,
mais qui lui correspond. Pourtant des détails sont troublants, le tableau du
peintre nordique représentait un décor identique avec une femme et deux
fillettes qui lui rappelait l’échec de la vie commune qu’il avait eu pendant
deux ans avec une jeune veuve et ses deux fillettes d’un autre père. Pareil
pour le chien, il avait adoré son berger belge qui lui, adorait mordre les
enfants, exclusivement les enfants. Il avait dû s’en séparer, le faire
endormir. Evite de chialer. Mais avant ces ruptures, il y avait eu le bonheur,
et la pièce ne lui rappelait que ça.
Bon, tant pis pour Alvaro, s’il a disparu, bon
débarras, où qu’il soit, mais des types pareils, hélas, refont toujours
surface.
Il décide de s’en aller quand il voit un petit
objet qu’il pense reconnaître sur la table basse du salon. Hélas c’est bien ça,
la bague du commissaire Avaro, un anneau médiéval représentant un arbre de vie,
dont il était très fier. « Tu te rends compte Alejandro, ça date du Moyen
Âge ! Et ça a été légué de génération en génération, dans notre famille,
tu arrives à remonter jusqu’où dans ton arbre généalogique toi ? »
C’est vrai que l’objet est magnifique, mais il est
source d’ennui, il veut dire qu’Alvaro est bien venu ici et a priori
ce n’était pas le gars à l’oublier sur une table, donc mystère… Il sortit de la
maison vers sa voiture garée plus loin, dans le lotissement.
La maison était intéressante, sur deux étages,
dans une rue étroite, en plein village, la plupart du temps à l’ombre, avec de
toutes petites fenêtres, un escalier étroit abrupt bien conçu avec des marches
pas trop hautes, deux pièces au rez-de-chaussée, deux à l’étage, avec des
plafonds bas. En été, on ne voyait pratiquement pas le soleil et en hiver, vu
l’épaisseur des murs, il ne devait pas faire trop froid. L’eau du lavoir était
à moins de cinq cents mètres à l’entrée du village, monter un seau de dix
litres sur cinq cents mètres, même si la pente était forte ne demandait pas
trop d’effort.
José espérait ne pas avoir à la faire démolir. Au
rez-de-chaussée vivait l’innocent, le bon chrétien, mais au premier demeurait
sa sœur, l’hérétique, qu’en tant que juge inquisiteur, il avait torturée et
brûlée.
Normalement la demeure de l’hérétique dans
laquelle elle avait pratiqué et enseigné l’hérésie doit être détruite, elle ne
fait pas partie des biens à confisquer. Mais c’est la première fois que ce problème
de propriété indivise se posait à lui. Il avait dû en référer à sa hiérarchie.
Car dans ce cas, soit on détruit tout et on confisque les pierres, les poutres
et les matériaux de construction, et, si on ne détruit pas, le fisc récupère la
bâtisse dans sa totalité
José attendait donc le verdict de sa hiérarchie.
Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il garderait
l’anneau à l’arbre de vie qu’il s’était autorisé à confisquer à l’hérétique
avant son supplice.
Quand il se rendit compte que l’anneau manquait à
son doigt, il fit demi-tour, prenant le rond-point à toute vitesse, à sa
sortie, une silhouette féminine avec un drapeau à damiers fait de grands
moulinets. Alvaro est interloqué, ce n’est pas un quartier à putes et que fait
cette jolie fille seule la nuit ? Il freine brutalement, laisse la fille
s’approcher, il baisse la vitre : qu’est que vous voulez ? Ben vous
avez vu, c’est la fin de la course, garez-vous vingt mètres plus loin, c’est
dangereux à la sortie du rond-point.
En cherchant les clefs de la voiture dans sa
veste, il se rendit compte qu’il ne retrouvait pas son iPhone 21 dernier cri,
une courte bouffée d’angoisse avant qu’il ne l’aperçoive sur le siège de sa
voiture. Deux appels en absence. Le commissariat. C’était son ami Pablo qui
était de garde. La fillette avait été retrouvée, pas de violence, pas
d’agression sexuelle, les parents sortent du commissariat à l’instant et
rentrent chez eux. Le commissaire Alvaro aussi est de retour. Pourquoi ce con
n’a pas donné signe de vie, Pablo ? La réponse est simple : ce
connard n’a pas donné signe de vie parce qu’il est mort. Pablo lui apprit que
le corps de commissaire avait été trouvé dans sa voiture au moins douze heures
après sa mort, avec une rigidité cadavérique déjà bien en place. Accident ?
Non, apparemment, mort naturelle. Suivent quelques digressions sur la
difficulté de trouver le bon cercueil pour un cadavre assis, Alejandro lui
rappela qu’en attendant quelques heures la putréfaction remplace la rigidité,
mais qu’évidemment ça pue et question puanteur le cadavre d’Alvaro sera
champion du monde. On parla repas d’enterrement payé par le service dans
l’excellent restaurant près du commissariat. Ils parlèrent encore quelques
minutes de tout ce qui émerveille et ravit les gens qui aiment la vie comme la
nuit de Noël émerveille et ravit les enfants sages.
En raccrochant, Alejandro se dit qu’il était bien
content de conserver l’anneau.
Cet anneau lui allait très bien à l’annulaire de
sa main droite qui tenait le pinceau. Orlando était très fier de son atelier
donnant sur le petit port aux eaux cristallines avec une lumière inouïe,
fabuleuse pour la peinture, il y faisait toujours frais grâce à une
climatisation discrète, il ne contenait que le grand chevalet avec la toile sur
laquelle il travaillait et une toile vierge posée sur un mur. Le fond de
l’atelier était dans l’ombre avec un sofa sur lequel s’étaient allongées les
plus belles filles de la deuxième partie du XXIe siècle. Il
n’en avait baisé aucune ne sachant pas ce qu’était une érection. Tout pour la
peinture se disait-il.
Il pensait à son ami le préfet Alejandro qui
venait de décéder à quatre-vingt-neuf ans lui léguant cet arbre de vie très
ancien.
Alejandro lui avait sauvé la vie sous la dictature
en 2025, rendant un immense service à la peinture de ce siècle et du XXIIe
qui venait de commencer, en empêchant la disparition d’un génie, Orlando Feo.
Peu de gens savaient qu’Orlando peignait la
majorité de ses tableaux face à la mer, alors qu’aucune de ses œuvres n’a
jamais représenté un paysage marin.
En ce moment, par exemple, il dessinait une maison
en pierre au toit en végétation comme il en avait vu en Norvège.