mardi 1 novembre 2016


L
A MAISON ÉTAIT LA DERNIÈRE du lotissement de luxe, juste avant la falaise. Du lotissement,  on ne voyait que la barrière et le portail. Elle était construite au fond du terrain en pente douce et, du jardin, on ne voyait pas les autres maisons, mais le ciel et la végétation, astucieux.
Évidemment jardin de rêve, pelouse sans la moindre mauvaise herbe, à la limite du synthétique, mais non c’est de la vraie nature, de la vraie œuvre de Venus. Des fleurs blanches réparties comme il faut, presque écœurant de perfection pensa l’inspecteur Alejandro.
La maison était plus modeste que les autres villas haut de gamme du lotissement. En pierre, comme une maison bretonne, sans étage, un toit en végétation comme parfois en Norvège. Étrange sous la contrée d’Alejandro, mais chic. En façade une seule grande fenêtre, et une ouverture à droite de la porte d’entrée ni baie ni fenêtre, aussi haute que la porte, moitié moins large se terminant en haut par un ovale pas très régulier. À travers la vitre de cette ouverture un Tervuren assis regardant vers l’intérieur, immobile. C’était le crépuscule, la maison, éclairée, dégageait une impression de douceur, de quiétude fort agréable.
Pas plus de sonnette qu’au portail d’entrée, Alejandro frappe, pas de réponse, pas d’aboiement du Tervuren. Vérifiant qu’il a bien son taser de poche prêt à paralyser tout canidé agressif, Alejandro entre, la porte s’ouvre sans problème, il se tourne vers la droite, taser en main, mais il ne risque rien, le berger belge est empaillé. Ceci dit, le taxidermiste a fait un travail hors pair notamment sur l’expression de la bête qui semble heureuse d’accueillir les visiteurs.
Bien qu’ayant horreur des poncifs, il ne peut qu’émettre un sonore « y a quelqu’un ? » suivi de « Police », mais non, personne…
La pièce est spacieuse, l’impression de douceur se renforce, une partie cuisine avec le piano à cuisson hors de prix, les ustensiles bien visibles, scintillants.
Il sait où il a vu cet intérieur. Sur le tableau d’un peintre nordique de la fin du XIXe siècle que venait d’acquérir son ami, le célèbre peintre Orlando Feo à qui il avait sauvé la vie sous la dictature, le soustrayant des mains de gens comme le commissaire Alvaro ravi de torturer et d’éliminer tous les « déviants ». Curieusement c’était parce qu’il recherchait cette ordure de commissaire Alvaro qu’il était dans cette maison. Alvaro s’y était rendu hier soir pour la disparition de la fillette de huit ans du couple qui habitait là. Elle n’avait disparu que depuis un couple d’heures, mais comme ses parents étaient de la haute société, d’emblée, ils avaient eu droit à la visite du commissaire. Mais pas de nouvelle du commissaire depuis 24 heures.
Alejandro alla visiter les autres pièces se résumant à deux salles de bains (immenses, Jacuzzi, douche à l’italienne ET grande baignoire).
La chambre de la petite était la plus intéressante, le lit était un carrosse de princesse grandeur nature, il n’avait jamais vu ça. Bizarrement la chambre était bien rangée., la chambre des parents, que du luxe, impersonnelle, n’importe qui pourrait y dormir (à condition d’avoir du fric).
Il retourna dans la pièce principale, là on était bien, rassuré, au calme, des bibelots charmants en petite quantité, une bonne odeur de cuisine. Tiens, un croque-monsieur sur la table en bois, il est encore chaud. Il ne devrait pas, mais il s’assied et entame le croque-monsieur, il est comme chez lui, avec le décor qu’il aurait été incapable de mettre en place, mais qui lui correspond. Pourtant des détails sont troublants, le tableau du peintre nordique représentait un décor identique avec une femme et deux fillettes qui lui rappelait l’échec de la vie commune qu’il avait eu pendant deux ans avec une jeune veuve et ses deux fillettes d’un autre père. Pareil pour le chien, il avait adoré son berger belge qui lui, adorait mordre les enfants, exclusivement les enfants. Il avait dû s’en séparer, le faire endormir. Evite de chialer. Mais avant ces ruptures, il y avait eu le bonheur, et la pièce ne lui rappelait que ça.
Bon, tant pis pour Alvaro, s’il a disparu, bon débarras, où qu’il soit, mais des types pareils, hélas, refont toujours surface.
Il décide de s’en aller quand il voit un petit objet qu’il pense reconnaître sur la table basse du salon. Hélas c’est bien ça, la bague du commissaire Avaro, un anneau médiéval représentant un arbre de vie, dont il était très fier. « Tu te rends compte Alejandro, ça date du Moyen Âge ! Et ça a été légué de génération en génération, dans notre famille, tu arrives à remonter jusqu’où dans ton arbre généalogique toi ? »
C’est vrai que l’objet est magnifique, mais il est source d’ennui, il veut dire qu’Alvaro est bien venu ici et a priori ce n’était pas le gars à l’oublier sur une table, donc mystère… Il sortit de la maison vers sa voiture garée plus loin, dans le lotissement.
La maison était intéressante, sur deux étages, dans une rue étroite, en plein village, la plupart du temps à l’ombre, avec de toutes petites fenêtres, un escalier étroit abrupt bien conçu avec des marches pas trop hautes, deux pièces au rez-de-chaussée, deux à l’étage, avec des plafonds bas. En été, on ne voyait pratiquement pas le soleil et en hiver, vu l’épaisseur des murs, il ne devait pas faire trop froid. L’eau du lavoir était à moins de cinq cents mètres à l’entrée du village, monter un seau de dix litres sur cinq cents mètres, même si la pente était forte ne demandait pas trop d’effort.
José espérait ne pas avoir à la faire démolir. Au rez-de-chaussée vivait l’innocent, le bon chrétien, mais au premier demeurait sa sœur, l’hérétique, qu’en tant que juge inquisiteur, il avait torturée et brûlée.
Normalement la demeure de l’hérétique dans laquelle elle avait pratiqué et enseigné l’hérésie doit être détruite, elle ne fait pas partie des biens à confisquer. Mais c’est la première fois que ce problème de propriété indivise se posait à lui. Il avait dû en référer à sa hiérarchie. Car dans ce cas, soit on détruit tout et on confisque les pierres, les poutres et les matériaux de construction, et, si on ne détruit pas, le fisc récupère la bâtisse dans sa totalité
José attendait donc le verdict de sa hiérarchie.
Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il garderait l’anneau à l’arbre de vie qu’il s’était autorisé à confisquer à l’hérétique avant son supplice.
Quand il se rendit compte que l’anneau manquait à son doigt, il fit demi-tour, prenant le rond-point à toute vitesse, à sa sortie, une silhouette féminine avec un drapeau à damiers fait de grands moulinets. Alvaro est interloqué, ce n’est pas un quartier à putes et que fait cette jolie fille seule la nuit ? Il freine brutalement, laisse la fille s’approcher, il baisse la vitre : qu’est que vous voulez ? Ben vous avez vu, c’est la fin de la course, garez-vous vingt mètres plus loin, c’est dangereux à la sortie du rond-point.
En cherchant les clefs de la voiture dans sa veste, il se rendit compte qu’il ne retrouvait pas son iPhone 21 dernier cri, une courte bouffée d’angoisse avant qu’il ne l’aperçoive sur le siège de sa voiture. Deux appels en absence. Le commissariat. C’était son ami Pablo qui était de garde. La fillette avait été retrouvée, pas de violence, pas d’agression sexuelle, les parents sortent du commissariat à l’instant et rentrent chez eux. Le commissaire Alvaro aussi est de retour. Pourquoi ce con n’a pas donné signe de vie, Pablo ? La réponse est simple : ce connard n’a pas donné signe de vie parce qu’il est mort. Pablo lui apprit que le corps de commissaire avait été trouvé dans sa voiture au moins douze heures après sa mort, avec une rigidité cadavérique déjà bien en place. Accident ? Non, apparemment, mort naturelle. Suivent quelques digressions sur la difficulté de trouver le bon cercueil pour un cadavre assis, Alejandro lui rappela qu’en attendant quelques heures la putréfaction remplace la rigidité, mais qu’évidemment ça pue et question puanteur le cadavre d’Alvaro sera champion du monde. On parla repas d’enterrement payé par le service dans l’excellent restaurant près du commissariat. Ils parlèrent encore quelques minutes de tout ce qui émerveille et ravit les gens qui aiment la vie comme la nuit de Noël émerveille et ravit les enfants sages.
En raccrochant, Alejandro se dit qu’il était bien content de conserver l’anneau.
Cet anneau lui allait très bien à l’annulaire de sa main droite qui tenait le pinceau. Orlando était très fier de son atelier donnant sur le petit port aux eaux cristallines avec une lumière inouïe, fabuleuse pour la peinture, il y faisait toujours frais grâce à une climatisation discrète, il ne contenait que le grand chevalet avec la toile sur laquelle il travaillait et une toile vierge posée sur un mur. Le fond de l’atelier était dans l’ombre avec un sofa sur lequel s’étaient allongées les plus belles filles de la deuxième partie du XXIe siècle. Il n’en avait baisé aucune ne sachant pas ce qu’était une érection. Tout pour la peinture se disait-il.
Il pensait à son ami le préfet Alejandro qui venait de décéder à quatre-vingt-neuf ans lui léguant cet arbre de vie très ancien.
Alejandro lui avait sauvé la vie sous la dictature en 2025, rendant un immense service à la peinture de ce siècle et du XXIIe qui venait de commencer, en empêchant la disparition d’un génie, Orlando Feo.
Peu de gens savaient qu’Orlando peignait la majorité de ses tableaux face à la mer, alors qu’aucune de ses œuvres n’a jamais représenté un paysage marin.
En ce moment, par exemple, il dessinait une maison en pierre au toit en végétation comme il en avait vu en Norvège.


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